Il n’est pas rare, lorsque surviennent les crises, d’entendre dire que le tourisme est une industrie “résiliente”, sorte de haïku à la “même pas peur” qu’il serait prudent de manier avec plus de précautions dans la crise qui vient. Après deux années de crise-covid (version “dure”) sous la protection des différents régimes d’aides, la crise actuelle a de quoi inquiéter à plus d’un titre.
D’une part, les aides publiques devraient être (très) inférieures à celles prodiguées durant le covid : non seulement, les caisses sont (presque) vides, mais la structure même de cette crise (Ukraine, pénuries énergétiques, inflation, etc) ne laisse que peu de marges de manoeuvres aux gouvernements pour déployer un (nouveau) filet de protection autour des entreprises. L’accélération rapide des défaillances économiques, relevée par Altares le mois dernier (+69% en un an), confirme une dégradation sans précédent du tissu économique. La probabilité que cette vague de défaillances touche de nombreuses entreprises du tourisme et des loisirs n’est donc pas à prendre à la légère.
D’autre part, si le voyage (qu’il dure un weekend ou plus d’une semaine) est toujours présenté comme un “besoin vital”, cela ne vaut que dans un contexte où les charges du quotidien (se chauffer, s’alimenter, financer ses déplacements, etc) se font à bon prix. Dans un contexte inflationniste (annoncé pour durer), la réaction des consommateurs n’aura pas le même effet exutoire qu’au sortir des confinements passés. Il est même fort probable qu’avec la (timide) remontée des taux du Livret A, par exemple, les français soient de plus en plus enclins à épargner comme le notent les analystes financiers. Ces derniers observent même des déplacements de plan d’épargne entreprises (moins intéressants) vers le bon vieux livret jaune (une récente mesure gouvernemental l’y autorise)… On peut donc imaginer une contraction de la consommation, tout court, mais aussi de la consommation touristique dont le budget “transport” (aux coûts de plus en plus élevé) constitue une part importante. La probabilité de voir le marché se contracter est donc très forte : c’est déjà le cas pour le tourisme international (83% des voyageurs interrogés se déclarent réticents à voyager “loin” et donc, cher) tandis que le marché “domestique” se limitera aux “courtes distances”, sobriété énergétique oblige !
Mais, cette année, un autre paramètre risque de bousculer le fragile équilibre de notre industrie : comme ce fut le cas aux US, lors des précédentes crises et particulièrement la dernière, on observa un afflux massif de nouvelles offres sur le marché (forcément digital). En mai dernier, par exemple, AirDNA, dont le métier est d’observer l’univers de la location “courte durée”, constatait un afflux massif de 88.000 nouvelles offres sur les plateformes de réservation, soit “un record historique d’inscriptions sur les plateformes leaders comme Airbnb ou Vrbo …”. Cette affluence “record” s’expliquait, selon Brian Chesky, l’un des cofondateurs de Airbnb, par le fait que de nombreux propriétaires (ou locataires) percutés par la crise se décidaient à franchir le pas de la réservation en ligne pour subvenir à leurs besoins du quotidien (payer leur loyer ou leur emprunt, les frais d’entretien de leur appartement, etc …). Le constat ne s’arrête pas là: non seulement, ces “amateurs” (par opposition aux hébergeurs “marchands”) affluaient en masse sur le marché (au point de le “dérégler”) mais, de plus, ils y appliquaient des méthodes commerciales aussi agressives que précipitées… Des réactions de panique (baisse des prix pour capter des réservations coûte que coûte) qui ont un impact, forcément, sur le marché et le reste de l’écosystème (les pros, qui vivent du tourisme).
Quand un tel afflux d’offres arrive sur le marché dans un mode “Sauve Qui Peut” (c’est-à-dire, non pas pour financer la croissance d’une entreprise touristique, mais pour financer la trésorerie à court terme d’un particulier), on se voit rapidement confronté à un marché de type spéculatif où les amateurs, pris de panique, peuvent avoir des réactions incontrôlables sur le maintien d’un certain niveau de prix.
Assez logiquement, ce que l’on a constaté aux US, c’est que cet afflux d’offres se faisait surtout sur les créneaux “à bas prix” et que cette désinflation (bien que salutaire pour les voyageurs) venait bouleverser l’équilibre général du marché. Lors de la crise-covid, alors que l’occupation des hôtels chutait de 77,3%, celle des locations à court terme ne diminuait que de 45,1%. Si la raison portait sur le fait que les voyageurs ne voulaient pas croiser trop de monde, leur seconde raison était aussi d’ordre économique. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les chiffres de la précédente “grande” crise financière (2008), quand le taux d’occupation du marché hôtelier passait de 63,2% à 55,1% et que celui des locations de courte durée ne baissait quasiment pas … en raison de prix “bradés”. Comme le souligne Airbnb, dans son rapport annuel, “45% de (ses) “hosts” assument déclarer qu’ils proposent leur bien à la location en vue d’en assurer plus facilement son financement et celui de son entretien …”. 10% d’entre eux déclarent même que ces revenus leur évite de perdre leur logement …
Ce constat posé, on ne peut ignorer que tout cela est favorisé par l’extrême digitalisation du tourisme : cet afflux de nouvelles offres n’est rendu possible que par la facilité avec laquelle des milliers de “non-professionnels” viennent rivaliser avec les offres “professionnelles et marchandes”. Et par l’appel d’air que les OTAs assument pour attirer ces offres “alternatives” dans leurs catalogues (chez Booking, par exemple, l’offre hôtelière est désormais minoritaire en nombre …).
Pour un particulier, créer une offre, lui fixer un prix, voire plusieurs selon son remplissage, et gérer son planning est devenu monnaie courante. Cette addiction à la vente en ligne s’est également plus rapidement propagée chez ses derniers que chez les professionnels eux-mêmes … qui sont encore largement sous-digitalisés (c’est encore vrai chez les hébergeurs “marchands” et ça l’est encore plus dans l’univers des activités et des loisirs).
Cette confrontation de concurrences ne se règlera pas par la loi ou par des interdictions de divers ordres comme certains l’imaginent déjà. Non, à tous les niveaux de l’écosystème, chaque acteur du tourisme doit “investir le digital” comme jamais ! Un “marchand” aura toujours plus de bénéfices (qualité, service, etc) à offrir qu’un “particulier”. Mais ces avantages ne servent à rien s’il ne sait pas les valoriser sur les marchés digitaux, à commencer par son propre site (stop à l’amateurisme !) et sa page Google (qui est la première porte d’entrée vers la réservation). Un particulier pourra baisser ses prix à outrance en mode “Sauve Qui Peut”, un voyageur saura toujours faire la différence entre un “prix cassé” et une “mauvaise affaire” : même en temps de crise, 47% des voyageurs préfèrent payer plus cher pourvu qu’ils soient certains d’acheter de la valeur (emplacement, service, qualité de l’accueil, etc ..;). Dans un univers où les photos, les vidéos, les avis … comptent plus que les classements administratifs, savoir occuper le marché digital avec professionnalisme est devenu vital pour plus d’une entreprise du tourisme et des loisirs. Marquer la différence avec un “particulier” sera donc aussi déterminant par ces temps d’hypra-compétition sur les prix. Et seuls les outils digitaux permettront de le faire : en se multi-distribuant (channel manager) puisque seulement 11% des “particuliers” se diffusent sur plus d’un portail, en offrant un site digne de ce nom qui mette en “valeur” votre offre (moins de 3% des particuliers ont leur propre site), en utilisant des fonctions marketing avancées (prix différenciés entre votre site et les OTAs, coupons de réduction, promotions automatiques, upsell et ventes additionnelles, messages pre-et-post séjour pour réduire les annulations, etc …).
Durant cette période compliquée, soyons clairs, il n’y a pas de “recette miracle” : il faut juste faire ce qu’il y a lieu de faire et arrêter de “bricoler”. L’univers digital n’est inaccessible pour personne (la preuve, avec l’afflux des particuliers sur ce marché …): il est donc une opportunité pour tous ! Longtemps considéré, par les pros, comme un “mal nécessaire” (compliqué, onéreux, abstrait …), le “digital” est un pilier de tout fonds de commerce touristique : les formations existent (https://www.campus-france-tourisme.fr/), les solutions sont abordables (https://www.elloha.com/) et les connaissances sont partagées (https://blog.elloha.com/) pour “naviguer” sereinement sur un marché où les à-coups sont quotidiens et souvent, démesurés.
Par Bruno DELMAS, Fondateur et CEO de elloha