Par Emmanuel BOBIN – Directeur Général d’OTL
Dans un Billet d’expert OTL, Brice Duthion nous proposait en 2022 la saga des « Lab Tourisme » français (voire Francophone avec nos amis du MTLab) durant la dernière décennie. Ce fut 4 très bels articles pour retracer cette belle aventure et la revue des pistes prises par chacun des labs. Dans le dernier article, l’auteur nous avait proposé de se projeter vers les nouveaux enjeux de l’innovation touristique. A nous de prolonger cette réflexion et de vous partager nos défis.
En 2024, c’est quoi être un lab Tourisme ? Incubateur ou accélérateur de startup, startup studio, plateforme d’innovation territoriale, … ? Faut-il se ranger dans une case plutôt qu’une autre ? Qui sont les « users » d’un lab tourisme quand le monde des start-up n’est plus le même qu’il y a 8 ans ? Quel est le potentiel des labs d’innovation sur la transformation de l’économie touristique ? auprès de qui ?
OTL a déjà eu des « vies » depuis 2017. Comme d’autres initiatives similaires, OTL est né de la conviction qu’il y avait un « trou dans la raquette » dans les politiques d’accompagnement à l’innovation pour les filières du tourisme. Le tourisme a en effet une particularité dans la sphère publique : le tourisme, en tant que « compétence » au sein des collectivités territoriales, est plus traité en termes de marketing territorial et d’hospitalité, mais très peu en termes de développement économique et d’entrepreneuriat (a fortiori pour l’accompagnement de projets d’entreprises innovantes).
C’est à partir de ce constat, et dans un contexte 2015/17 de la « start-up nation », que OTL s’est créé et s’est positionné comme accélérateur de start-up.
Dès la création, j’avais en tête que, pour exister dans la durée, il est indispensable de conduire une activité réflexive de façon continue et penser l’évolution d’un lab d’innovation par étapes successives : d’abord la V0, puis V1, V2, … . Dès la première année d’OTL, j’en ai tiré des premiers enseignements avec l’équipe, et on a énoncé des évolutions pour pouvoir confirmer notre positionnement et développer nos actions.
Effectivement, en 2018, je fais évoluer le modèle sur la base des réflexions suivantes : passer d’une vision centrée sur l’accompagnement de startup à une approche plus écosystémique de l’innovation dans le tourisme ; passer d’une approche organisée exclusivement autour de l’entrepreneuriat à une communauté plus large de praticiens de l’innovation et des méthodes design ; l’intégration progressive des enjeux de transition durable par rapport à une vision initiale 100% tech digitale ; le passage d’une approche par les « petits projets » à une approche plus transformatrice ; et le passage d’une organisation centrée autour d’un périmètre restreint à une collaboration multi-partenaires et multi-territoires.
Sur la période suivante (avec l’épisode covid au milieu), la quête d’OTL a été de libérer le potentiel d’innovation en permettant la collaboration entre des parties prenantes de l’écosystème du tourisme avec une triple promesse : favoriser l’émergence de nouvelles entreprises, accompagner la transformation et acculturer les acteurs du tourisme à l’innovation. Pour cela OTL s’est structuré autour de 3 piliers majeurs : le design de service et l’expérience client UX ; l’entrepreneuriat ; la diffusion des expertises et enjeux du secteur au travers de l’organisation d’événements professionnels.
Avec la rétrospective de 4/5 années passées, ce modèle a bien fonctionné : bien compris par l’écosystème et complètement dans son rôle de catalyseur d’innovations, sur des thématiques transversales, en incitant la collaboration vers d’autres secteurs comme les industries culturelles et créatives, la mobilité, la biotechnologie, …. Plutôt que d’être auto-centré exclusivement sur son écosystème touristique, OTL a ouvert ses horizons et adapté ses méthodes pour accueillir et soutenir des projets qui se trouvent à l’intersection de plusieurs domaines, pour améliorer les expériences client ou des solutions de process métiers.
A partir de là, il a été plus difficile de ranger OTL dans une seule « case » : devenu plutôt accélérateur et catalyseur… avec la capacité de conjuguer l’interdisciplinarité et de porter un regard holistique sur les projets.
A ce moment, les interventions de Gabrielle Halphern (notamment au Congrès d’ADN Tourisme en 2023 par ex) ont été des révélateurs de notre processus d’hybridation et nous ont aidé à mieux comprendre ce qui était en train de se passer, mais sans définir nécessairement notre nouveau concept. Pour citer Gabrielle Halphern , je retiens deux choses :
« L’hybridation … c’est le mariage improbable. C’est le fait de mettre ensemble des métiers, des sciences, des générations, des secteurs, des matériaux, qui, a priori, n’avaient pas grand-chose en commun, voire qui pouvaient sembler contradictoires, et qui, ensemble, donnent lieu à de nouveaux usages, de nouveaux lieux, de nouveaux métiers, de nouveaux modèles, de nouvelles formes de gouvernance ou de partenariat … de nouveaux modèles en somme. »
« Des investisseurs aux industriels, en passant pas les agriculteurs et les commerçants : les métiers se redéfinissent, s’élargissent, s’hybrident avec d’autres. Nous assistons à l’émergence de nouvelles combinaisons et re-combinaisons et ces phénomènes créent de nouveaux liens. »
Mais OTL n’a pas hybridé pour hybrider ! Ce processus d’hybridation s’enclenche naturellement dès lors que l’on accepte de remettre en question les frontières du bien pensant et de ce qui se comprend communément, et en parallèle de s’interroger sur le sens même de l’innovation au regard de la multiplicité des crises (vécues, subies, …), et de l’urgence à construire une économie touristique plus responsable. Face à cette situation à faire autrement, le sens de l’innovation évolue.
Effectivement, après une période très focalisée sur la technologie, l’ensemble de l’écosystème économique (vision européenne seulement !?) est en train de remettre les choses dans le (bon) ordre où l’innovation se retrouve plus centrée sur les aspirations et les besoins humains, et dans une vision où l’innovation, considérée comme plus systémique,englobe des dimensions articulant avancées technologiques, progrès humain et respect du monde vivant, avec au centre de la démarche, la notion d’innovation à impact.
C’est dans cette voie que OTL a opéré sa troisième mue en 2023. A partir d’un travail de fonds mené par les équipes, y compris sur les valeurs, les convictions, et les compétences, la V3 d’OTL affiche un positionnement autour d’une vision, celle d’accélérer la transformation durable du secteur touristique par le prisme des innovations dites à impact.
Une nouvelle phase d’hybridation a été nécessaire autour de métiers à inventer (Impact designer ?), avec également un rôle de catalyseur de nouvelles compétences et d’expertises à associer autour de OTL. Cette hybridation des disciplines est excessivement riche et surtout porteuse de sens pour tous les participants à nos programmes : c’est l’occasion de mieux s’adapter à un écosystème en grande mutation face aux nombreux défis induits par le changement climatique et par les impératifs de redirection des modèles.
Mais la grande différence de cette V3 porte sur l’ambition volontariste, celle d’inspirer et donner aux acteurs du tourisme les moyens de se réinventer et de co-créer des produits et services innovants à impact, contribuant ainsi à un avenir plus durable et plus équitable.
Pour incarner cette dorsale stratégique, il fallait pour OTL un programme dédié. Désigné et porté par les équipes d’Open Tourisme Lab, le programme Tourism Tech For Good© (TTFG) est né, et a été lancé fin 2023, avec une projection a minima jusqu’à mi 2026.
Ce programme est composé d’un catalogue d’actions, qui répondent à 3 objectifs : observer les usages et les tendances sociétales, stimuler l’entrepreneuriat autour de l’émergence de solutions à impact et accélérer la diffusion de bonnes pratiques à impact auprès des filières er des acteurs touristiques.
En interne, le programme Tourism Tech For Good © est en marche depuis 6 mois. Le développement est piloté et incarné par une personne, Elodie Geoffroy, directrice du Développement et des Partenariats, et chaque action est portée par une cheffe ou un chef de projet. Et avec succès, les actions se planifient et s’enchaînent les unes après les autres. Ce développement se fait avec et grâce à l’ensemble de nos partenaires engagés à nos côtés. « Partenaire » n’est pas un vain mot : c’est un travail de tous les jours, en mode projet, et orienté sur LES besoins de nos partenaires.
Le cercle des partenaires est en train de s’agrandir, sans doute pas assez vite…. Il est en effet un paradoxe, confirmé par une étude récente du BCG (juin 2024), où plus de 1 000 décideuses et décideurs économiques ont été interrogés pour savoir si elles et ils sont en « position d’innovation ». Si l’immense majorité (83%) des entreprises interrogées affirment que l’innovation fait partie de Top 3 des priorités dans leur stratégie d’entreprise, seules 3% déclarent le faire !! Quel gap ! En France, l’aversion au risque freine les entreprises, qui n’arrivent pas à innover assez vite ; et selon les conclusions du BCG, il faudrait pourtant accélérer fortement. « il y a un énorme paradoxe entre le besoin d’innovation, qui correspond à une vraie nécessité pour assurer la transition vers un monde plus durable ». Cette étude révèle également que les freins rencontrés pour innover sont l’absence de stratégie claire (47%), l’absence de gouvernance robuste sur ce sujet (43%) et les difficultés liées aux talents (43%).
Pour conclure ce billet … OTL est là pour aider les opérateurs touristiques, privés et publics, pour passer de la volonté d’innover à la mise en pratique. OTL se mue pour être à la fois un catalyseur de projets à impact et un facilitateur grâce à une ingénierie de projets tournée vers une rationalisation de la prise de risque. Accélérateur intelligent d’innovation, engagé sur les transitions numériques et durables … en résumé. Prêt à rejoindre cette belle aventure, avant la V4 (en 2027) ?
La crise climatique n’est plus qu’une prédiction catastrophique imminente. On le sait, elle est désormais une réalité mondiale. L’eau, cette ressource si précieuse, est au cœur de cette crise et l’industrie touristique, très grosse consommatrice d’eau, est bien évidemment directement concernée par la pression hydrique qui se généralise. Avec l’accélération des phénomènes, des modèles d’exploitation sont remis en cause. Ce n’est pas un luxe de s’en préoccuper, c’est une nécessité.
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