Deux tiers des Français (64%) se sentent concernés par la notion de tourisme durable, cependant la part de « très » concernés reste encore limitée (19%) (étude Kantar ; L’ADN, septembre 2021).
Au regard du poids économique des filières touristiques dans le monde (par exemple, en France c’est un levier majeur de l’économie, avec 7,4% du PIB en 2018, ADEME, 2021), le tourisme a le potentiel de porter une responsabilité significative pour répondre aux enjeux du développement durable sur les territoires. Néanmoins, nombreuses sont les évaluations mettant en évidence les externalités négatives de son développement à grande échelle (pollution, dégradation des sites, gaspillage, etc.), pointant ainsi du doigt ses conséquences aussi bien sur le plan socioéconomique qu’environnemental. Non loin de réduire la relation du tourisme à de simples effets négatifs sur le pan environnemental, nous constatons que dans les faits, leur rapport est bien plus complexe et ambivalent.
Dans ce contexte, gouvernements, praticiens ou encore chercheurs ont plaidé pour l’usage de formes alternatives de tourisme telles que l’écotourisme, le slow tourisme ou encore le tourisme communautaire, démontrant ainsi une forte sensibilisation environnementale qui n’a de cesse de s’imposer sur la scène internationale, tant les scénarios catastrophiques du dernier rapport du GIEC sont alarmants (raréfaction des ressources en eau et en nourriture, réchauffement climatique de +1,09°C en 2021, augmentation du stress thermique, dégradation de la qualité de l’air, …).
Ces nouvelles orientations d’un tourisme à plus petites échelles offrent, par ailleurs, de meilleures possibilités d’implication pour les entreprises locales. À ce titre, les structures touristiques, pour se développer et innover, ont saisi les opportunités offertes par les « marchés verts » en développant des éco-innovations, également connu sous le nom d’innovation environnementale, verte ou durable. À la différence de l’innovation traditionnelle, l’innovation environnementale possède un double effet bénéfique : elle produit des externalités positives (exploitation rationnelle de ressources précieuses, croissance verte, économie circulaire), mais contribue aussi à internaliser les effets négatifs qui incombent sur l’environnement (Frondel et al., 2007).
Toutefois, la recherche sur l’adoption des éco-innovations révèle que le principal déterminant semble être les économies de coûts. De ce fait, même si la conscience environnementale des consommateurs semble être une variable importante, le prix plus élevé des produits écologiques a tendance à la surmonter (Horbach et al. 2012). En cela, l’éco-innovation se heurte à la notion de « green gap », certes nous démontrons une préoccupation environnementale, mais qu’en est-il de nos comportements réels ? Malgré une volonté de tendre vers une société éco-responsable rythmée par des comportements sobres, force est de reconnaître que beaucoup de freins (prix, temps, efforts) viennent entraver une transition durable et équitable. Par conséquent, les éco-innovations sont moins susceptibles d’être axées sur le marché que les innovations traditionnelles.
L’une des solutions pourrait être de s’orienter vers des éco-innovations sur le premier kilomètre de la chaîne logistique qui soient ancrées vers des solutions comportementales non contraignantes. Persiste tout de même la question de leur acceptabilité sociale à grande échelle…
En tant qu’industrie majeure à part entière, le tourisme est reconnu comme un consommateur important de ressources. Effectivement, selon l’étude bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’ADEME (2021), le secteur du tourisme représente 11% des émissions des GES en France , dont 75% pour le sous-secteur du transport.
Toutefois, même si dans l’imaginaire collectif, nous avons tendance à penser que les grandes entreprises sont beaucoup plus polluantes que les PME, en réalité, c’est une idée préconçue. En effet, la grande majorité des entreprises touristiques ont traditionnellement été des petites entreprises, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’effet global des petites entreprises sur l’environnement dans le monde, on a déjà affirmé qu’elles pouvaient être responsables de 70 % de la pollution environnementale mondiale (Hillary, 2000). Néanmoins, pour la plupart d’entre elles, les ressources financières, humaines et de connaissances restent encore limitées, réduisant ainsi leur concours à l’amélioration des performances environnementales. Au-delà de cela, persiste un décalage important entre les attitudes positives des propriétaires/gestionnaires envers l’environnement et les pratiques commerciales réelles. De ce fait, un fossé se creuse entre : une sensibilité écologique d’une part, et les pratiques commerciales d’autres parts, ce phénomène se rapporte à l’acronyme « green gap ».
Pourquoi persiste cet écart entre les objectifs et les performances environnementales ? Les raisons sont nombreuses…
Premièrement, et comme le suggère Petts et al., (1998), le lien entre les attitudes environnementales et le comportement de gestion est souvent faible, car il manque d’immédiateté (impacts lointains traduisant une distance temporelle et géographique). Autrement dit : un mauvais impact environnemental, n’a pas souvent un impact direct sur l’entreprise. De ce fait, l’impact environnemental devient une cause invisible aux yeux des propriétaires/gestionnaires, alors pourquoi agir dans l’instant T ?
Deuxièmement, la plupart des petites entreprises déclarent avoir des difficultés à identifier les avantages d’une meilleure performance environnementale, tels que les gains financiers potentiels (économies de coût résultant d’une réduction du gaspillage par exemple). En effet, le changement climatique pose d’importants défis cognitifs, psychologiques et politiques à l’engagement durable du public, car la gratification est retardée, voire absente de l’action ad hoc.
Un autre problème peut résulter d’un manque de pression de la part des fournisseurs ou des consommateurs en vue d’une meilleure performance environnementale. Ancré dans une société postmoderne, l’adage « moins mais mieux » peine encore à se frayer un écho au sein des discours et des pratiques. Partisan d’une culture « zéro-effort » (Badot et Morena, 2016), nous sommes encore loin d’une certaine sobriété dans les comportements. Désormais habitué à un certain confort, une accessibilité transcendante dans tous les domaines, une économie du temps passé à l’action de certaines tâches, il est vrai que la sobriété dans les comportements de consommation n’est pas encore à l’ordre du jour… Ainsi, pour qu’une éco-innovation soit plus largement adoptée, elle doit certes apporter des bénéfices environnementaux, mais aussi et surtout promouvoir un certain nombre de bénéfices individuels (financier, performance, hédoniste, …).
Pour inciter à changer les habitudes, une solution pourrait être de s’intéresser à la notion du premier kilomètre, dit aussi « First Mile », notamment sous l’angle des sciences comportementales visant à réduire au maximum les contraintes associées à la performance environnementale.
Dans un contexte de reprise post-pandémie, l’usage de tactiques comportementales intelligentes devrait permettre de relever les défis liés au premier kilomètre qui incombent aux acteurs touristiques dans leurs parcours de transition de durabilité et de performance environnementale.
Le premier kilomètre, en tant que première phase logistique, intègre toutes les opérations en début de chaîne logistique. Phase déterminante, le fait de s’appuyer sur l’éco-innovation, notamment orienté sur l’introduction de nouveaux systèmes de gestion devrait permettre aux acteurs du tourisme de faciliter leur transition durable, et ce, à moindre coût.
L’éco-innovation et les sciences comportementales
Les théories des sciences comportementales ont beaucoup à apporter à la pratique managériale. Ces dernières visent à améliorer les comportements individuels en limitant l’impact négatif pour la collectivité. En cela, l’usage de tactiques comportementales intelligentes ambitionne de promouvoir certaines éco-innovations par le biais d’interventions minimes et non contraignantes, en début de chaîne logistique afin de permettre aux acteurs touristiques d’optimiser leur infrastructure logistique.
Pour exemple, une tactique comportementale intelligente peut être de mobiliser l’empreinte climatique comme un facteur de choix alimentaire (Nikolova, 2021). Nous le savons, l’industrie alimentaire est largement émettrice de gaz à effet de serre, et même si chaque aliment possède une empreinte carbone, il est vrai qu’en tant que citoyen, cette information ne nous ait pas facilement accessible. Une solution comportementale a été proposée par l’outil CarbonAte qui planifie des menus de restaurant basé sur le web. Ce dernier calcule automatiquement l’empreinte carbone des plats et aide les gérants de restaurants à développer des « plats plus intelligents » pour le climat. De ce fait, chaque plat affiché sur la carte possède une étiquette climatique allant du vert, pour les plats avec une empreinte climatique réduite, au rouge, pour les plats les polluants. Le code couleur permet aux clients finaux de juger de la valeur du plat, sans pour autant l’inciter à partir dans des calculs approfondis, c’est ce que l’on appelle une heuristique de jugement.
Autre exemple, l’île Fogo, plongée dans l’Atlantique Nord, au nord de l’Amérique, a mis en place une solution comportementale inspirante en procédant à un étiquetage économique nutritionnel. À l’instar de l’étiquette traditionnelle relatant les valeurs nutritionnelles des produits, l’étiquette économique présente la répartition en pourcentage des coûts liés aux plats finaux présentés aux clients. Gage de transparence, cela permet aux consommateurs de prendre des décisions plus conscientes sur leurs choix alimentaires.
Ces tactiques comportementales se développeront probablement à grande échelle à l’avenir pour répondre à l’urgence climatique. Malgré ce, qu’en est-il de leur acceptabilité sociale…
Bien que la conscience environnementale de tout un chacun semble de plus en plus prégnante, voulons-nous réellement avoir une totale transparence de chacune de nos actions ? Sommes-nous prêts à chiffrer notre impact environnemental individuel ?
De même, les acteurs du tourisme sont-ils disposés à prendre le risque d’irriter leur clientèle avec de telles informations et ainsi générer un phénomène de résistance ?
Voilà de nouveaux enjeux auxquels praticiens, décideurs et chercheurs devront répondre pour assurer une transition réussie vers l’avenir.
Pour en apprendre davantage, OTL vous propose l’ouvrage de Milena Nokolova, experte et chercheuse en économie comportementale dans le domaine du tourisme :
Nikolova, Milena S. Behavioral Economics for Tourism: Perspectives on Business and Policy in the Travel Industry. Academic Press, 2020.